Pano a réalisé un reportage marquant sur le contexte difficile dans lequel les bénéficiaires du revenu d’intégration et les travailleurs sociaux du CPAS d’Anderlecht doivent fonctionner. D’une part, les bénéficiaires du revenu d’intégration doivent souvent attendre trop longtemps leur allocation, ce qui les plonge dans des situations financières encore plus difficiles. D’autre part, les travailleurs sociaux sont confrontés à un turnover de personnel dû à une surcharge de travail. Mais Anderlecht n’est certainement pas le seul CPAS à rencontrer des difficultés. D’autres CPAS bruxellois sont également confrontés aux mêmes défis. En même temps, il y a beaucoup de bonne volonté dans les CPAS bruxellois pour inverser la tendance et maintenir le revenu d’intégration comme un dernier filet de sécurité efficace. Cela nécessite une solution structurelle et partagée.
En Belgique, toute personne qui n’a pas les moyens de vivre dignement a droit à l’aide sociale. Les personnes dans cette situation peuvent faire appel au CPAS pour obtenir, par exemple, un revenu d’intégration. Ce revenu d’intégration est le dernier filet de sécurité que nous, en tant que société, prévoyons pour éviter que les gens ne tombent dans une pauvreté encore plus grande. C’est fantastique, n’est-ce pas ? Que nous, en tant que société, prévoyons un tel système. Cependant, chez SAAMO, nous voyons souvent l’autre côté de l’histoire.
Il y a par exemple Irena (nom fictif), mère célibataire de deux enfants. Elle vient de terminer une formation et cherche actuellement un emploi. Irena sait qu'il est presque temps pour la révision annuelle de son revenu d'intégration, mais elle n'a pas encore de rendez-vous avec son assistant social. Elle contacte le CPAS et on lui dit qu'elle recevra une invitation. À la fin du mois, son revenu d'intégration n'est pas versé et elle n'a toujours pas reçu d'invitation à un entretien. Trois mois plus tard, elle parvient enfin à obtenir un rendez-vous. Il s'avère alors que son assistant social est absent pour une longue période. L'enquête sociale pour la révision annuelle n'a pas été réalisée. Entre-temps, le revenu d'intégration d'Irena est suspendu. Une fois l'enquête sociale terminée et le comité ayant pris une décision positive, Irena reçoit son revenu d'intégration avec effet rétroactif. Mais entre-temps, Irena n'a pas pu payer son loyer pendant deux mois, elle achète de la nourriture avec les allocations familiales et les factures d'énergie ne sont pas payées. Irena reçoit des appels furieux de son propriétaire qui menace de résilier le bail. L'absence de revenu d'intégration entraîne une insécurité financière, des dettes croissantes, une pression sur la relation avec le propriétaire et du stress. Un stress qui met à mal la relation de confiance avec l'assistant social et empêche un accompagnement de qualité.
L’histoire d’Irena n’est malheureusement pas un cas unique. De nombreux bénéficiaires du revenu d’intégration n’ont pas accès à ce revenu, et donc au droit à une vie digne.
On estime que 45 % des bénéficiaires du revenu d’intégration (dans toute la Belgique) ne font pas valoir ce droit. Cela contraste fortement avec les 4 % qui ont reçu un revenu d’intégration à tort : c’est donc plutôt l’exception que la règle. Adapter votre politique aux exceptions est une recette pour une mauvaise politique.
En même temps, nous constatons qu’au cours des 20 dernières années, le nombre de personnes bénéficiant d’un revenu d’intégration dans la région de Bruxelles est passé de 26 000 en 2003 à plus de 60 000 en 2023. C’est énorme et cela mérite notre attention continue ! Nous constatons également un changement de perspective sur la pauvreté, passant d’un problème structurel à un problème individuel. Cela met de plus en plus de pression sur les CPAS, les travailleurs sociaux et les bénéficiaires du revenu d’intégration.
L’augmentation du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration a pour conséquence que les travailleurs sociaux des CPAS bruxellois doivent souvent gérer plus de cent dossiers.
Cela entraîne un cercle vicieux de départs de personnel, de retards dans l’aide et d’absence de bon accompagnement. Ce qui, comme dans l’histoire d’Irena, conduit à un sentiment de désespoir chez toutes les parties. Éponger l’eau avec le robinet ouvert.
En l’absence de soutien et d’accompagnement, les bénéficiaires du revenu d’intégration vivent dans une insécurité financière constante qui les oblige à chercher des solutions créatives à court terme.
Ils sont en mode survie, ce qui laisse peu de place aux solutions à long terme, encore moins à une intégration durable dans la société.
Les bénéficiaires du revenu d’intégration et les travailleurs sociaux ont le sentiment de ne pas toujours être entendus. Et c’est dommage car ils méritent d’être pris au sérieux. Ils méritent qu’on investisse en eux. Tous deux bénéficieraient de plus de temps et d’espace pour un soutien et un accompagnement de qualité sur mesure. Ils ont les connaissances et les capacités pour juger de ce qui est nécessaire. Impliquez-les dans les solutions. Il y a beaucoup de bonne volonté dans les CPAS bruxellois, mais les défis dépassent les CPAS et les frontières communales. Peut-être que les solutions devraient aussi les dépasser ? Les gens déménagent constamment d’une commune à l’autre et donc aussi les bénéficiaires du revenu d’intégration. Nous avons besoin d’un dernier filet de sécurité complet pour tous les Bruxellois (mais aussi pour toute la Belgique). Pourquoi ne pas chercher ensemble un moyen de mieux coordonner les CPAS ? Pourquoi ne pas réfléchir au-delà des frontières communales à la manière de donner à chacun un accès équitable à ses droits ? Il est grand temps de réfléchir à une plus grande harmonisation et pourquoi ne pas envisager un CPAS unifié ?
Sara Van Hoyland, travailleuse communautaire pour l’équipe Baskuul SAAMO Bruxelles.
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Regardez le reportage de VRTNWS Pano « CPAS à la dérive »